Le taux d’inflation annuel au Canada est descendu à 3,4 % en mai, son plus bas niveau depuis juin 2021. Robert Both, stratège en macroéconomie à Valeurs Mobilières TD, discute avec Greg Bonnell des raisons pour lesquelles la Banque du Canada est encore susceptible de relever les taux cette année, même si l’inflation montre des signes de ralentissement.
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* L’inflation globale au Canada a fortement diminué en mai. On a vu une forte baisse des prix de l’essence par rapport à l’an dernier. Mais, si on examine le rapport, est-ce que ça sera suffisant pour que la Banque du Canada refasse une pause? Robert Both, stratège en macroéconomie à Valeurs Mobilières TD, est là pour en discuter. Robert, je suis heureux de vous compter parmi nous comme toujours. C’est parfait pour une journée comme celle-ci. * C’est la grande question du moment. Une décision concernant les taux sera prise dans quelques semaines. Que va faire la Banque du Canada avec un tel rapport sur l’inflation? * Eh bien, merci de m’avoir invité de nouveau, Greg. Comme vous l’avez mentionné, l’inflation a diminué considérablement en mai. Elle a reculé d’un point de pourcentage pour atteindre 3,4 %. Pour beaucoup d’entre nous, à première vue, c’est une très bonne nouvelle surtout pour ceux qui ont rencontré des difficultés en raison de la hausse des coûts au cours des dernières années. * Si on prend un peu de temps pour examiner les données, la baisse de l’inflation sur 12 mois n’est pas très surprenante. Les prix de l’essence ont été un facteur clé de cette baisse par rapport à l’an dernier. Mais si on regarde la variation des prix de l’essence entre avril et mai, ça n’a pas trop bougé. Dans l’ensemble, les prix ont augmenté de 0,4 % sur un mois. * C’était à peu près conforme aux attentes du marché, donc le choc n’est pas trop important pour la Banque du Canada par rapport à ses hypothèses avant le rapport de ce matin. Mais l’inflation demeure beaucoup trop élevée, surtout lorsqu’on examine les mesures d’inflation de base. * La Banque du Canada examine de près deux mesures. Ce sont la moyenne tronquée et la médiane pondérée. Elles ont perdu 0,4 point de pourcentage, passant de 4,25 % à 3,85 %, mais continuent d’augmenter d’environ 0,2 % sur un mois. On commence donc à prendre la bonne direction. * Mais si on regarde aussi les taux annualisés sur trois mois de l’inflation de base, ils se situent toujours autour de 3,7 %. Encore une fois, ces niveaux sont trop élevés. La Banque du Canada veut que ces taux se rapprochent de 2 %. Et tant que les prix augmentent de 0,4 % sur un mois, il va falloir plus de progrès avant d’être rassuré que les hausses de taux vont s’arrêter. * Ce que j’ai trouvé très curieux dans ce rapport qui, vous avez raison, a été bien communiqué, c’est qu’il ne faut pas être un génie pour se rendre compte qu’on paie moins cher l’essence qu’à la même période l’an dernier, où le baril de pétrole brut coûtait presque 120 $. Mais le coût des intérêts hypothécaires, évidemment, pas non plus besoin d’être un génie pour savoir qu’ils sont plus élevés cette année que l’an dernier en raison des hausses de taux. * Mais si on fait abstraction de ces facteurs, l’inflation a été d’environ 2,5 %. Cela m’a paru curieux, car c’est ce que la Banque du Canada a fait. Elle a augmenté les taux. Elle a augmenté les taux hypothécaires. Est-ce qu’elle en tient compte? Est-elle satisfaite de voir un recul du marché de l’habitation? * C’est pourquoi la Banque du Canada se concentre davantage sur les mesures d’inflation de base qui éliminent les composantes les plus volatiles, comme les frais d’intérêts hypothécaires. Ce n’est pas nouveau au cours du dernier mois, mais ça s’est produit au cours des six derniers mois, les intérêts hypothécaires contribuent de plus en plus à la hausse de l’inflation sur 12 mois. * Toutefois, il existe d’autres composantes du panier de l’IPC qui font généralement bonne figure lorsque la banque réduit les taux, notamment les coûts de remplacement pour les propriétaires ou toute autre donnée directement liée au prix des logements. Ils ont toujours été considérés conjointement avec le reste de l’indice. On ne s’attend pas à ce que la Banque du Canada commence à examiner ces frais d’intérêts hypothécaires. * Elle a ses mesures de base, qui servent de guide opérationnel et elle leur accorde un peu plus d’importance lorsqu’une des composantes alimente une grande partie de la volatilité. Mais ces mesures d’inflation de base sont toujours en vigueur à un taux qui n’est pas tout à fait compatible avec un retour à la cible de 2 %. Il faudra donc d’autres signes de ralentissement de la demande et le retour à l’équilibre budgétaire pour revenir à 2 %. * Lorsque l’inflation a commencé à prendre de la vitesse, qu’on nous a dit qu’elle était transitoire, ce qui semble loin, elle concernait surtout les biens parce qu’on avait eu de réels problèmes avec les chaînes d’approvisionnement après la pandémie. Beaucoup de gens parlent des services depuis quelque temps. * On peut montrer la différence entre les produits de base et les services pour ce qui est de l’inflation actuelle. Est-ce inquiétant pour la banque, le fait que les services… diminuent, mais pas de façon spectaculaire? * Je dirais que c’est un peu troublant pour la Banque. C’est quelque chose qu’elle surveille depuis quelques mois. Et on s’attend à ce que cet écart continue de s’élargir au cours des prochains mois parce que les prix des services ont tendance à être plus persistants que les prix des biens. Et ils sont plus étroitement liés aux résultats du marché du travail. * Donc, d’ici à ce que le marché de l’emploi se rapproche d’un certain équilibre, jusqu’à ce que la croissance des salaires soit bien inférieure à 5 %, je pense qu’on peut s’attendre à ce que cette situation dans le secteur des services se poursuive. Et surtout dans le volet du logement, qui est un peu moins lié aux résultats du marché de l’emploi, on s’attend à ce que les prix demeurent une source de pressions haussières sur l’inflation au cours de la prochaine année, voire un an et demi. * Les rapports sur le travail ont toujours été importants, mais j’avais l’impression que depuis qu’on est dans cette lutte contre l’inflation, le rapport sur l’emploi a été mis de côté. On y a quand même été attentifs, mais c’est le rapport sur l’inflation qui faisait toutes les unes de journaux. Maintenant qu’on est à cette étape de la lutte contre l’inflation, le rapport sur le marché du travail devient-il plus important pour nous? * Je pense qu’on va examiner les données sur le marché du travail pour en savoir plus sur la hausse de l’inflation dans le secteur des services. Je pense que l’inflation est toujours, avant tout, ce que la Banque du Canada examine. Il s’agit de sa priorité au Canada. * Elle veut absolument revenir à 2 % et le marché du travail est un peu secondaire. De toute évidence, les données sur la croissance sont également très importantes. Il faut que la croissance ralentisse par rapport aux taux supérieurs à la tendance vus au cours de la dernière année. On a connu une forte croissance au premier trimestre de cette année et on est aussi un peu préoccupés par certaines des pressions inflationnistes qui pourraient prendre plus de temps à diminuer. * On aura donc une décision de la Banque du Canada concernant les taux le 12 juillet. Ce n’est que dans quelques semaines. Dans l’état actuel des choses, est-ce que vous vous attendez à ce qu’elle refasse une pause pour évaluer plus en profondeur vers où on se dirige ou y a-t-il des signes qu’elle devrait continuer? * Alors. Je pense qu’on doit attendre le mois de juillet, mais c’est l’une des questions qu’on avait au sujet du rapport sur l’IPC d’aujourd’hui, le fait qu’une hausse du taux en juillet semble extrêmement probable. Je pense qu’il faudrait une baisse importante de l’inflation pour éviter une hausse en juillet. Et on ne l’a pas obtenue. * Il n’y a pas beaucoup d’autres données importantes qui pourraient faire changer les choses d’ici le 12 juillet. Je pense donc qu’elle va augmenter les taux encore une fois. Et une fois le mois de juillet terminé, je pense qu’elle adoptera une approche plus axée sur les données. * Il y a beaucoup de données économiques avant septembre. Et il faudra des preuves plus concrètes du ralentissement de l’activité économique. Il faudra aussi que l’inflation continue de ralentir, et surtout l’inflation de base. Et il nous reste trois mois avant d’en arriver là. C’est ce qu’on va surveiller. Pour l’instant, on prévoit que les taux atteindront 5 %. [MUSIQUE]